Dans 8 jours
Mardi 20 mai, 19h00
Discussion avec Benjamin Gizard et Ghislain Casas sur les "Remarques sur le Rameau d'Or de Wittgenstein" à partir de leur contribution au recueil "Mythe et langage"
"On pourrait presque dire que l’homme est un animal cérémoniel. C’est probablement en partie faux, en partie absurde, mais il y a également quelque chose de correct là-dedans. C’est-à-dire que l’on pourrait commencer ainsi un livre sur l’anthropologie : « Quand on considère la vie et le comportement des hommes sur la Terre, on s’aperçoit qu’ils exécutent, en dehors des actes que l’on pourrait appeler animaux, comme l’absorption de nourriture, etc., des actes revêtus d’un caractère spécifique que l’on pourrait appeler des actes rituels. »"
Il est courant, quand on s'attache à inscrire Wittgenstein dans l'histoire de la philosophie, de distinguer deux moments hermétiques l'un à l'autre dans sa pensée. Un premier Wittgenstein logicien et positiviste, dont le Tractatus est admiré par Russel et les membres du Cercle de Vienne ; un second, pragmatiste et intéressé par le langage ordinaire, dont les Recherches Philosphiques publiées à titre posthume par ses étudiants de Cambridge, ont profondément nourries le Linguistic Turn des sciences humaines post-Deuxième Guerre Mondiale.
Du fait du peu de citations explicites à d'autres philosophes dans ses œuvres, il est aussi souvent d'usage de dire que sa philosophie est extraite ex nihilo de son esprit, dès lors présenté comme proprement génial, et peu intéressé par les affaires de son temps -- exception faite de son engagement volontaire dans l'armée autrichienne qui a été le cadre de rédaction du Tractatus.
Les Remarques sur "Le Rameau d'Or", rééditées par la Tempête dans un volume intitulé Mythe et Langage - comprenant trois autres textes signés par David Graeber, Benjamin Gizard et Ghislain Casas - ne vont certainement pas dans ce sens. Elles constituent une pièce à conviction dans l'entreprise de mise à bas de ces préconceptions bien ancrées dans la vulgate historiographique, et illustrent la richesse du rapport de la pensée de Wittgenstein à son temps et, partant, aux nôtres.
Rédigées en 1931, soit au mi-temps de sa vie, dans la même période que La Grande Dactylographie qui vient de paraître chez Gallimard, alors qu'il était retourné enseigner à Cambridge, elles témoignent tout d'abord d'un Wittgenstein lecteur et critique.
Le Rameau d'Or de Frazer, publié entre la toute fin du XIXème et le début du XXème, est un ouvrage au succès retentissant, qui développe une perspective évolutionniste (heureusement largement dépassée) dans les sciences de l'anthropologie et l'histoire des religions. Le texte de David Graeber, Remarques sur les Remarques de Wittgenstein sur Frazer, montre en quoi la saisie par la philosophie d'une anthropologie aussi répandue que critiquée par les évolutions contemporaines du champ disciplinaire est capitale -- on pensera aussi à la reprise décoloniale de Wittgenstein dans l'anthropologie de Talal Asad.
L'"actualité" de Wittgenstein est aussi saillante dans la contribution de Benjamin Gizard, A quel jeu joue l'anthropologie ?. Sans sombrer dans un sainte-beuvisme naïf, il convient de rappeler que ce fils de grands bourgeois de la Vienne pré-Première Guerre mondiale était un grand lecteur de Kraus, amateur de ses saillies enflammées contre la pensée bourgeoise alors triomphante et les fictions dangereusement hégémonique de cette idéologie appareillée par les empires médiatiques naissants. Wittgenstein était loin de penser depuis les limbes d'un espace an-historique lui permettant de rester indifférent aux enjeux de son temps : sa critique du discours évolutionniste de Frazer se base sur la position matérielle d'énonciation de celui-ci, à savoir la bourgeoisie impériale britannique, et nous amène, un siècle plus tard, à identifier ce qu'il y a à défaire dans le présent.
Enfin, le jeu philologique très sérieux auquel se livre Ghislain Casas dans De l'importance extrait et illustre, par la pratique du collage-montage, l'entièreté d'un questionnement épistémologique qui ne se détourne pas de la pensée logique pour passer au langage ordinaire, mais, plutôt innerve la mise en jeu d'un ensemble d'objets apparemment hétérogène qu'il travaille avec la même insistance. De fait, si Wittgenstein reste indéniablement un pourfendeur de la confusion linguistique, amenant par là à ne se pencher que sur ce qui fait réellement problème, il faut certainement battre en brèche les interprétations les plus positivistes de ses travaux : la critique sévère de la métaphysique n'est décidément pas incompatible avec une métaphysique critique. Ce travail nous permet ainsi de réarticuler une question trop souvent occultée par les temps qui court alors qu'il est cruciale de ne jamais l'abandonner : qu'est-ce qui importe ?
En somme, ce que nous proposons de faire ensemble à partir de ce livre, c'est de profaner le Wittgenstein académique (c'est à dire : de nous le rendre) pour essayer de voir ce que nous pouvons faire, hic et nunc, depuis (un fragment de) sa pensée telle qu'elle existe réelement. Soit certainement questionner l'exercice anthropologique, au centre de la théorie politique contemporaine, mais aussi, peut-être, réinterroger les lignes de partage sur lesquels nous fondons, en dernière instance, nos analyses et nos pratiques.
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